A l'âge de 51 ans, il décida de repartir en voyage. Il voulait revoir le ciel incroyablement bleu des bords de la Méditerranée. Bien mal lui en prit. La seconde croisade, organisée par le roi Louis VII et par l'empereur d'Allemagne Conrad III venait de commencer. Des troupes militaires et civiles rejoignaient les régions du sud-est de la France. Les chemins étaient peu sûrs, car nombre de vandales et de bandits de grands chemins en profitaient pour piller les Croisés. Avant d'arriver à Fougères, Saint-Pixel et ses trois compagnons qui l'accompagnaient furent attaquer par des brigands qui voulaient surtout leur voler leurs mules.

Saint-Pixel essaya de les amadouer, mais rien ne put faire fléchir ces bandits. Un des moines qui voulait absolument garder sa mule reçu un coup de fourche dans la ventre. C'est en essayant de lui porter secours que Saint-Pixel reçu à son tour un coup de bâton derrière la tête. Les voleurs se jetèrent sur les sacs des quatre moines. Les brigands s'énervèrent en découvrant que les sacs ne contenaient aucun trésor ni aucune richesse, mais des peintures, des pinceaux et des parchemins.

Ils forcèrent Saint-Pixel et son dernier compagnon encore vivant à avaler le contenu des pots de couleur. Saint-Pixel fut contraint de boire les préparations chimiques et colorées. Beaucoup de ces produits étaient extrêmement dangereux pour la santé. Certains contenaient des substances nocives et vénéneuses. Le tout se mélangea dans son estomac et il commença à avoir d'atroces souffrances. Il se mit à vomir, à cracher, à tousser. Il souffrit le martyre pendant plusieurs heures. Ses yeux se révulsèrent, sa langue pendait hors de sa bouche, noire et enflée. Il hurla quand les peintures attaquèrent ses boyaux et ses reins. Il demanda du cidre ou de l'eau sous les quolibets de ses bourreaux. Son calvaire dura tout un après-midi.

Les voleurs s'enfuirent à l'approche d'une patrouille de soldats qui partaient pour la croisade. Saint-Pixel, quasiment inconscient, fut amené dans une masure voisine. Son corps devenait étrangement coloré, des taches multicolores apparaissaient d'abord sur son visage, puis sur tout son corps. Ses taches semblaient se déplacer très vite. Elles changeaient de couleurs en se croisant. On aurait dit des tatouages bougeant sous sa peau. Les soldats crurent à un envoûtement, à un phénomène maléfique. Ils firent appeler des moines d'une abbaye voisine. Un d'eux reconnu Saint-Pixel. Sa bouche continuait à baver une écume blanche, striée de rayures multicolores. Les moines ne se prononcèrent pas et firent appeler un prêtre exorciste. Mais celui-ci cru reconnaître la présence du diable et s'enfuit sur le champ.

En début de soirée, Saint-Pixel, posé sur un grabat dans une masure insalubre, repris un peu connaissance et prononça ses dernières paroles, devenues mythiques par la suite : 'Les coccinelles se rassemblent…, tout devient trouble…, c'est flou…'. Puis il sombra dans un profond coma.

Saint-Pixel mourut deux jours plus tard, sans avoir repris connaissance.

Son corps fut ramené au monastère du Bec et enterré dans le petit cimetière, à quelques mètres de son atelier. La nouvelle de sa mort causa une grande surprise dans la région et la ferveur populaire commença à répandre le bruit que Saint-Pixel avait fait des miracles.

Il est vrai que toutes les enluminures que les moines approchaient de sa sépulture se chargeaient de petits points carrés. Elles se simplifiaient, comme si l'artiste avait tout peint à base de carrés, comme si les différentes zones de couleurs se regroupaient en formes géométriques régulières. René de Bellac explique que ce phénomène provenait des visions de Saint-Pixel, visions encore présentes entre les murs du monastère, peintes sur les enluminures. La populace, toujours avide de croyances, s'empara du mythe de Saint-Pixel et parla de plus en plus des miracles de Saint-Pixel, ou 'miracles des points'. En effet, certains phénomènes inexpliqués, comme la transformation de peintures sur les murs, la disparition d'objets ou de personnages dans un tableau, et surtout, des peintres qui se remettaient au travail après des années de déprime lui furent attribués. (Suite)