Revenu en Normandie, à l'âge de trente neuf ans, Saint-Pixel retrouva le monastère du Bec. Les moines ne l'avaient pas oublié, au contraire. Sa célébrité en tant qu'enlumineur était revenue en Normandie avant lui. Il fut presque accueilli comme un héros. Mais Saint-Pixel reprit humblement ses activités d'enlumineurs au sein de l'atelier du monastère. Il s'avéra que le moine responsable de l'atelier mourut trois mois après son retour, dans des circonstances étranges. On retrouva son corps criblé de petits points de couleurs. Saint-Pixel fut chargé de s'occuper et de réorganiser le petit atelier. Il passa plusieurs mois à former les quelques moines et à lancer de nouveaux projets.

Saint-Pixel avait toujours des visions fantastiques. Surtout le soir avant de s'endormir. Un jeune novice était spécialement chargé de surveiller le moment où Saint-Pixel commençait à décrire des paysages fabuleux ou des scènes étranges. Ces visions se terminaient toujours par les mêmes mots énigmatiques, devenus célèbres depuis, et rapportés par René de Bellac, 'Les points se rassemblent, forment des points plus grands, tout devient trouble, c'est flou…'. En général, à cet instant, Saint-Pixel se réveillait et demandait du cidre. A son réveil il ne se souvenait jamais de ses propos de fin de visions.

Les moines, interloqués, se demandèrent souvent si Saint-Pixel n'était pas revenu dérangé de son long voyage en Europe. Ils en vinrent même à penser qu'il était peut-être habité par le Malin. Mais la renommée de Saint-Pixel commençait à sortir du monastère et ses enluminures se monnayaient bien chez les seigneurs de Normandie et de Bretagne. On parlait de lui jusqu'à Paris. Pour la réputation et l'intérêt du monastère, on garda secret ses petits troubles et dérangements.

Il passait ses journées à travailler sur ses œuvres, exploitant le jour ses visions de la nuit. Plusieurs moines et novices accomplissaient les travaux subalternes. Ils préparaient les parchemins et les couleurs, dessinaient les motifs selon les indications du maître, posaient les ors et les fonds. Saint-Pixel faisait les finitions, travaillait les visages et les carnations, posait le cernage et les rehauts. Son œuvre de cette période renferme d'étranges femmes blondes vêtues d'habits rouge à points noirs rappelant les ailes des coccinelles. (Suite)